L’hôtel des ventes Giraudeau, Maîtres Fraisse, Jabot et Gauthier, commissaires priseurs à Tours , assistés de notre Cabinet d’expertise Serret-Portier, présentent sous le numéro 150 de leur vente du 7 mars 2015 une exceptionnelle coupe couverte en argent et vermeil de Strasbourg vers 1580 de Peter Threer…
FICHE DESCRIPTIVE :
Coupe et un couvercle en argent et vermeil; le col évasé gravé d’armoiries d’alliances, le corps entièrement décoré de scènes animées retraçant l’exploitation minière au XVIe siècle. Le pied souligné d’une moulure ronde et saillante à décor de rinceaux. La base ronde à doucine gravée de lambrequins feuillagés, lièvres, escargots et masques, surmontée d’une frise de losanges.
Le couvercle postérieur en argent et vermeil reprenant le décor gravé sur le pied, surmonté d’un mineur formant prise, tenant dans ses mains une lampe à huile et une pointerolle.
La coupe :
- Strasbourg vers 1580
Coupe – Peter Threer – Strasbourg vers 1580
- Maître Orfèvre : Peter THREER (reçu en 1576)
- Poids de la coupe : 470 gr
- Hauteur : 23 cm
- Diamètre au col : 12 cm – diamètre au pied : 11cm
Le couvercle :
- Strasbourg 1779
- Maître Orfèvre : Daniel Philipp MOSSEDER (reçu en 1744)
- Poids de la coupe couverte : 855 gr
- Hauteur totale : 39 cm
Condition report :
- Pour le couvercle : accident et petit manque à la collerette en métal entourant le socle supportant le mineur. Photo – Cliquer ici
- Pour la coupe : petit trou sur la moulure enserrant le pied, léger enfoncement sur le pied. Photo – Cliquer ici
- Le hanap est en deux parties : la coupe et le pied, solidarisé par une contre plaque vissée sur la coupe. La coupe est numérotée 3 dans la partie non visible.
- Poinçons de Strasbourg et du Maître Orfèvre sur le pied et sur le bord du couvercle. Photo poinçons couvercle – Cliquer ici / Photo poinçons coupe – Cliquer ici
LE DECOR :
La coupe est entièrement gravée en plein sur quatre registres de scènes relatives à l’exploitation d’une mine argentifère au XVIe.
L’orfèvre s’est inspiré des illustrations de l’ouvrage De Re Metallica de Georgius Agricola, dit Agricola, de son vrai nom Georg Bauer, savant allemand du XVIe siècle.
De re metallica, est un ouvrage publié à Bâle en 1556, Agricola y travailla dès 1533. Il y développa les sujets de prospection et d’exploitation des mines, y exposa ses observations sur l’élaboration et la transformation des métaux. Cette œuvre, illustrée de nombreuses gravures est une synthèse des connaissances de l’époque en matière de géologie minière, de minéralogie et de métallurgie. Elle fut largement diffusée. La richesse de ses gravures, par leur quantité, leur qualité, mettant en scène les hommes, les processus d’exploitation, les outils, fournit une source précieuse d’inspiration pour l’orfèvre.
Les différentes étapes décrites par Agricola, de prospection, extraction, minéralurgie et métallurgie sont reprises sur la coupe :
Le seigneur, aidé de mineurs, recherchent des gisements de minerai, à l’aide d’une baguette de sourcier « virgula divina »pour localiser le gisement.
Les mineurs extraient le minerai à l’aide du marteau et de la pointerolle (burin emmanché) le minerai est alors récupéré dans une auge en bois puis évacué sur des petits chariots qui roulent sur des rails en bois, « les chiens de mine ». L’homme qui pousse le chariot est appelé coureur de chien.
Englobe les opérations destinées à débarrasser les blocs de minerai de leur gangue.
Cassage grossier sur le carreau de la mine, devant l’entrée principale. On parle de scheidage, c’est à dire de cassage grossier accompagné d’un tri manuel.
Bocard hydraulique, appareil équipé de pillons en bois terminés par des sabots en fer. Le bocard apparaît au XVIème et remplace le concassage manuel pratiqué au moyen âge. Le bocardage est suivi du criblage, les éléments trop gros sont remis sous les pilons.
Trieurs de minerai, tri manuel par des hommes et des femmes, puis concassage.
Une fois le minerai fractionné en petits blocs et les éléments stériles grossiers éliminés, il faut le réduire à une granulométrie plus fine. Le calibrage des fragments se fait à l’aide de tamis de différentes formes.
Le minerai est lavé pour éliminer les particules de stérile ou de gangue, lavage au tamis, au baquet. Lavage à la planche ou sluice, planche inclinée est recouverte de tissu.
La poudre de minerai encore mêlée d’un peu de stérile est mise en haut de la planche. Sous un faible courant d’eau, les éléments se séparent et les fines paillettes de minerai se fixent dans le tissu qui est ensuite lavé dans un baquet.
La métallurgie regroupe les opérations « chimiques » visant à séparer les différents métaux contenus dans le minerai polymétallique.
Le grillage est une oxydation du minerai sulfuré à l’état solide. Ces minerais sont des sulfures qu’il faut éliminer et oxyder le minerai. Cette opération s’effectue en aire ouverte, dans des caissons, avec du bois, le minerai étant réduit en grains ou en poudre. Sous l’action des flammes et en présence de l’oxygène de l’air, le minerai est grillé. On grille principalement le plomb, on calcine les cuivres, les calamines et les pyrites.
La réduction se fait dans un four fermé, en alternant des couches de minerai grillé et de charbon de bois. On réduit ainsi le minerai. Au fur et à mesure que la charge descend dans le four, l’ouvrier l’alimente par le haut. A la fin de l’opération, ce dernier perce une ouverture préparée à l’avance à la base du four d’où vont s’écouler le métal liquide et les scories. Les scories sont les résidus de l’opération, les impuretés qui n’ont pas été éliminées auparavant ainsi que des éléments de paroi du four. Le métal liquide peut être réceptionné directement dans des lingotières ou au contraire, former des petites masses à l’extérieur du four dans des bassins de coulée.
La coupellation ou affinage : l’opération de coupellation a pour objectif de séparer l’argent des autres métaux (plomb ou cuivre). Cette opération se fait dans le four d’affinage, recouvert d’un lourd couvercle bardé de fer élevé à l’aide d’un treuil.
Les scènes figurant sur le pied ne sont pas reprises dans l’ouvrage d’Agricola.
On quitte la mine pour pénétrer dans un intérieur réunissant une assemblée d’hommes, probablement les actionnaires. Un personnage tenant hanap et gourde s’apprête à entrer, dans la salle. Des hommes s’affairent, à chauffer, marteler, marquer le métal. Un autre, épée à la ceinture, lève son hanap. Un dernier, devant le four à moufle, teste la qualité du métal.
Il s’agit probablement d’un atelier monétaire, où se réunissaient les actionnaires ou concessionnaires pour tester la qualité du métal, le marquer…
Sur le couvercle, une statuette de mineur en plomb (?), forme prise.
Il porte sa tenue de travail : un chapeau rond sans bord, des morceaux de cuir protecteur sur les genoux, un cuir fessier qui permettait de travailler assis. Il tient dans les mains une lampe à huile et un outil qui évoque une pointerolle permettant d’extraire le minerai.
La prise du couvercle est à rapprocher des statuettes de mineurs conservées au musée d’Unterlinden, provenant de Sainte Marie aux Mines. Chaque statuette est constituée d’un édifice pyramidal de minéraux (quartz, calcite, galène, hématite, cuivre gris..) extraits des mines de Sainte Marie aux mines.
Bien que fabriqué près de deux siècles plus tard, le couvercle reprend sur la doucine le décor figurant sur le pied de la coupe.
La qualité du décor, le traitement de la gravure ainsi que dans la composition laissent penser que le décor de la coupe est l’œuvre d’un graveur et non de l’orfèvre lui-même. Le graveur a composé son décor sans vraiment se soucier de l’ordre des différentes étapes d’extraction, tri, concassage, combustion … privilégiant l’équilibre des différentes scènes entre elles. La ciselure, la composition, le traitement de la perspective sont d’une extrême qualité.
LES ARMOIRIES :
Sous le col armoiries d’alliance de la famille BRAUN et GEISPITZHEIM ( ?), cette coupe a pu être offerte à l’occasion de leur mariage. Nous n’avons pas retrouvé traces de cette union.
Le décor du gobelet laisse supposer que son propriétaire était lié à l’activité minière en Alsace ou plus largement dans une des mines de l’aire minière germanique englobant, la région de Strasbourg, l’Allemagne (Saxe), l’Autriche (Tyrol) ou la Suisse.
En Alsace à la fin du 15e siècle, d’anciens puits sont redécouverts à la suite des fouilles entreprises par le Duc de Lorraine. Ayant pris connaissance des découvertes de leur voisin, les Seigneurs de Ribeaupierre mettent également leur sous-sol en exploitation. Au Val d’Argent : Sainte -Croix aux Mines et Sainte-Marie-aux Mines, l’activité est florissante vers 1530. La « ruée vers l’argent » s’étend à tous les vallons. Vers 1550, on compte près de trois mille mineurs sur le secteur de Sainte-Marie-aux-Mines. Ils extraient, trient, broient, lavent et fondent le minerai en pains d’argent. Ceux-ci sont ensuite vendus aux ateliers monétaires régionaux ou à des orfèvres. L’épuisement progressif des filons et la concurrence des métaux précieux importés d’Amérique du Sud rendent l’activité minière locale moins rentable. Le déclin des mines d’argent s’accélère vers 1560, en 1635, la dernière mine d’argent cesse son activité.
COUPES & HANAPS :
Du Moyen Age au XVIIe siècle, différents modèles de coupes sont produits dans l’espace germanique. On distingue les hanaps, ou coupe montée sur pied et fermée d’un couvercle, pokal en allemand, des gobelets ou becher ainsi que des chopes. Ces coupes répondent à un désir de représentation, de manifestation de richesse, elles sont un signe de réussite de la famille qui les possède. Elles servent aussi de réserves monétaires, l’argent pouvant être gagé ou fondu.
Les gobelets sont souvent des cadeaux de mariage ou des présents offerts par la ville à un membre du conseil, à une corporation, qui ainsi se crée un véritable trésor. Souvent ils portent la mémoire de leurs commanditaires par le biais d’inscriptions ou d’armoiries.
Le décor de ces coupes est lié aux personnes pour qui ou par qui elles sont commanditées. On retrouve dans plusieurs coupes en argent l’exploitation minière comme sujet de décor.
La coupe des Ribeaupierre de Georg KOBENHAUPT, orfèvre à Strasbourg, datant environ de 1555, conservée dans la Schatzkammer de Munich, illustre sur le pied, le travail dans les mines du Val d’argent, source de la richesse de la famille Ribeaupierre.
La coupe Steiger est très proche de notre coupe par sa forme et son décor. Conservée au musée historique de Bern, elle tient son nom de la famille Von Steiger qui la possédait jusqu’à sa donation au musée de Bern à la fin du XIXème siècle.
Plus grande, elle mesure cinquante et un cm. De forme identique à la nôtre, un gobelet sur pied au col évasé, la coupe Steiger présente un décor gravé en plein sur cinq registres relatant l’exploitation minière à la Renaissance.
Elle porte une inscription gravée sur le corps de la coupe :
« Sur cette coupe devant toi est peint, tout ce que contient le travail des mines. – Comment on affouille (extrait), construit et perce des galeries, découpe le minerai, coupe, bocarde, lave et rompt. Verre, minerai, de l’argent bien trempé, plomb, cuivre et des métaux semblables, profondément dans les mines, tellement de puits sortis à grand coût. »
L’étude menée par Richard Pittoni publiée en 1972 avance la thèse selon laquelle la coupe aurait été offerte par Hans Ernst Graf Fugger à Léopold V et à son épouse Claudia de Médicis comme cadeau de mariage remis à l’occasion de leur visite de la mine de Falkenstein près de Schwaz en 1626. Cette coupe non poinçonnée serait l’œuvre de l’orfèvre Johannes Leucker (1573-1637) et du graveur Lukas Kilian (1579-1637), originaire d’Augsbourg.
Décor en déroulé de la coupe de Peter Threer – Strasbourg vers 1580
REMERCIEMENTS :
Les recherches menées autour de cette coupe ont donné lieu à de très belles rencontres, et nous remercions tout particulièrement :
Madame Marie Christine Bailly Maître, Directeur de Recherche CNRS, Monsieur Patrick Clerc, archéologue minier pour leurs précieuses et passionnantes informations sur le monde minier à la Renaissance, Monsieur Philippe Bastian auteur du mémoire « L’orfèvrerie de Strasbourg entre 1534 et 1642 »
Madame Michèle Saluden, Messieurs Benoît Jordan et Daniel Keller pour leurs recherches héraldiques .
Madame Regula Luginbuehl, conservateur du musée historique de Bern et Monsieur Quirinus Reichen pour la traduction de l’inscription figurant sur la coupe de Bern.
Monsieur Gérard Lacour, pour ses conseils avisés et pour le prêt de son précieux ouvrage : Histoire de mines de Saintes Marie d’E.Muhlenbeck.
Photos : Société ARTGO